La question de la déformation des corps a été traitée un nombre incalculable de fois. Nous n’avons pas ici la prétention de produire une analyse novatrice du sujet, mais de montrer notre affect à cette question, via un biais principalement descriptif. Ces oeuvres ne sont pas dénuées de sens à nos yeux. Nous les avons choisies pour leur relation flagrante à cette question de la déformation des corps, ainsi que pour leurs processus de figuration variés. Nous avons volontairement choisi des oeuvres différentes, pour appuyer la manière dont cette notion de ne plus représenter le corps comme un idéal de beauté traverse les disciplines artistiques.
Nous avons donc choisi une oeuvre qui se plaçait, déjà à l’époque, dans une démarche radicale de se distancier d’un rapport au corps purement esthétique et figuratif. Dans ce détail de “Le Jugement Dernier”, peint autour de 1505, Bosch nous montre un corps géant. Le corps est ici une machine, qui a pour but de déformer les autres corps, via l’enfermement d’un humain sur sa tête et via celui qu’il est en train de manger. Cette représentation du corps est une des plus anciennes de notre corpus, et la plus éloignée de représentations conventionnelles des corps, car ici il n’est ni question de sexualisation ni d’utilitarisme, mais de montrer l’humain, et non plus seulement le corps, comme une entité capable de faire du mal à ses semblables. Dans la seconde oeuvre de notre corpus, “Les marches de l’été” de Magritte, le corps est ici une oeuvre figée dans la matière. On observe ainsi une hybridation avec la pierre, qui fait que l’oeuvre ici transcende la peinture pour rejoindre la sculpture. Dans la plus ancienne oeuvre de notre corpus, un vase attribué à Mélénas représentant Oedipe et le Sphinx, on observe une hybridation mythologique d’un corps humain, via la figure du sphinx. Cette représentation d’une scène fait partie des nombreuses représentations de récits liés aux religions polythéistes. L’hybridation et la déformation du corps, n’est pas ici associé à quelque chose de “mal”, comme c’est le cas dans la religion chrétienne qui considère que toute déformation d’un être humain relève d’une volonté de contrecarrer la volonté de Dieu. La déformation du corps, selon comment elle est représentée et dans le cadre de quel contexte religieux, peut donc revêtir un caractère moraliste. L’oeuvre suivante de notre corpus traite elle aussi de l’hybridation entre animal et humain, mais d’un point de vue complètement contemporain. Ce costume revêt des caractéristiques complètement différentes: on observe ici une intégration de l’oeuvre dans le monde moderne. Le costume est porté par un humain, dans la rue, et la photo est prise par un téléphone. Ici, on s’écarte complètement du corps humain pour présenter une vision déshumanisée d’un être, qui provoque chez nous un phénomène proche de l’Inquiétante étrangeté. On ne distingue pas si le costume relève du monde animal ou du monde humain, en plus d’être dégenré. L’artiste ici créé une seconde peau, pour devenir un autre être, quasi extra-terrestre, tant sa nature nous semble étrangère. L’artiste incarne donc la déformation possible, aujourd’hui, avec les moyens techniques et plastiques disponibles, de nos corps. Dans l’oeuvre “Anthropométrie de l’époque bleue” de Yves Klein, c’est le corps du modèle qui est au centre, et réalise la volonté de l’artiste. L’idée développée dans cette performance est celle du rapport au réel, de la volonté de représenter celui-ci, tout en résultant en une peinture qu’on qualifie immédiatement d’abstraite. Le corps est réel et fait ici la peinture et non pas le simple modèle, l’intermédiaire. C’est dans cette frontière entre réalité et abstraction que se joue l’intérêt de ce rapport à la représentation au corps très particulier que montre le résultat final. Ce résultat se rapproche de celui de la sculpture de Henry Moore, “Large Reclining Figure”. Le corps est ici présenté avec seulement quelques éléments clés distinguables (tête, seins, pelvis). Malgré cette volonté de représenter le corps au plus simple, celui-ci est aussi distordu. Mais ce qui nous intéresse tout particulièrement ici, c’est la non figuration d’un visage ainsi qu’un travail certain sur la matière. En bronze, l’oeuvre donne à voir d’un point de vue différent lorsqu’on tourne autour d’elle, et joue sur cette idée de perspective. Le corps est ici imposant, et rayonnant, de par le bronze. La dernière oeuvre de notre corpus rayonne aussi. Ici, il n'est pas non plus question de sexualisation, mais de représentation inhabituelle du corps noir dans un marché artistique principalement dominé par des corps blancs et normés. L'oeuvre fait écho au mystique et au religieux, au conventionné, avec un processus classique de photographie en studio, pour mieux s'en écarter.
Dans ce corpus, nous avons tenté de montrer la multiplicité des possibilités de représentation des corps au travers des époques, ainsi que la démocratisation du détachement du "beau", facilité par les moyens modernes techniques et plastiques.
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